Nomad Son (Elements of Rock 2019)

publié par Johnar le 14 avril 2019

À l’issue d’un concert survolté, nous avons eu la chance de rencontrer Albert Bell, bassiste de Nomad Son et légende vivante du doom maltais. Entretien très sympathique autour d’un enregistreur.


Eternel.ch : Je vous laisse faire les présentations.
Albert Bell : Nous sommes Nomad Son, nous avons commencé en 2006, et c’est assez intéressant la façon dont nous nous sommes retrouvés ensemble. À l’époque je jouais déjà avec Forsaken, mais je cherchais un groupe ou quelques personnes avec qui fusionner les classiques du rock et du metal, dans le but de faire du doom metal. Le type avec qui j’enregistrais avec Forsaken m’a parlé de Jordan Cutajar et ses potes, qui jouaient dans un groupe de rock classique. On ne s’était jamais rencontrés, même sur une aussi petite île ! Un jour on s’est donné rendez-vous dans un studio, et à l’occasion de cette première rencontre, nous avons écrit deux morceaux que nous avons d’ailleurs joués ce soir, Shallow Grave et Empyrean Fade. C’était un genre de coup de foudre !
À partir de ce moment nous n’avons jamais regardé en arrière. Nous avons beaucoup répété, écrit du nouveau matériel, après quelques temps nous avons commencé à donner des concerts, et en 2008 nous sortions notre premier album : First Light. Nous avons tourné en Allemagne, en Angleterre, au Portugal, en Pologne, en Hollande, enfin on a un peu bougé ! Nous avons trois albums à ce jour, The Eternal Return, sorti en 2010, et en 2013 nous avons présenté The Darkening. Ensuite de ça nous avons fait une pause, vu que plusieurs membres étaient aussi impliqués dans d’autres projets, mais nous n’avons jamais abandonné notre groupe. Maintenant nous sommes en train de composer pour un nouvel album que l’on espère pour bientôt !

Eternel.ch : Décrivez-nous la scène metal à Malte.
Albert : Malte a une scène rock très forte depuis les années 80. Le premier groupe local à faire du metal s’appelait Evil Grave et il a débuté autour de 1971 ou 72. Il mélangeait un peu de Black Sabbath avec Led Zeppelin et Deep Purple, c’était vraiment intéressant ! Je ne le connais pas depuis longtemps, même si j’ai 51 ans, je ne suis pas assez vieux ! Tout ça pour dire que la scène rock et metal est bien installée sur l’île depuis la fin des années 70. J’ai commencé mon premier groupe en 1984. Il y a beaucoup de styles différents à Malte, du nu metal, du death metal, du black metal, bien sûr du doom, un joli mélange !

Eternel.ch : Avez-vous des ouvertures ailleurs qu’en Europe et à Malte pour les concerts ?
Albert : On ne peut pas se permettre de trop jouer à Malte, parce que c’est toujours le même public, donc on ne va pas jouer toutes les semaines ! Tout dépend des endroits, mais on donne environ quatre ou cinq concerts par année en Europe.

Eternel.ch : Vous semblez avoir beaucoup de visibilité en Israël, et plus à l’est. Y avez-vous été ?
Albert : Non, jamais. Nomad Son est assez connu dans les milieux doom, et un avantage de cette scène-là c’est que les gens sont très connectés entre eux, donc un groupe peut être très renommé même où il n’est jamais allé. Du coup je ne suis pas surpris qu’on soit connus en Israël ! J’avais eu des contacts avec quelques groupes de là-bas, je me rappelle notamment de Salem, je crois qu’ils sont toujours actifs, et Orphaned Land aussi. J’adorerais visiter ce pays. Tu es juive ?
Eternel.ch : Non, mais je demande ça à cause des résultats de Spotify cette semaine, qui indiquent qu’il y a beaucoup de visites là-bas.
Albert : Alors je ne le savais même pas ! Je n’utilise pas du tout Spotify, j’ai horreur de ces trucs, donc je ne suis pas au courant ! Je sais que c’est important et moderne, mais c’est pas mon truc. Je pense que les gens qui aiment réellement un groupe savent l’importance de se procurer les albums physiques. Après, I-Tunes me semble pas mal, Bandcamp aussi, il y a du valable là-dedans ! Mais pour Spotify la rémunération des artistes est négligeable, sauf si tu t’appelles Beyoncé ! Mais moi je ne suis pas aussi mignonne...

Eternel.ch : Où en est la situation religieuse à Malte ?
Albert : Nous sommes personnellement catholiques comme la majorité des gens. Il y a aussi une petite communauté orthodoxe, qui était plus importante par le passé, mais comme il y a de plus en plus de Russes, il est possible qu’elle grandisse. Malte est beaucoup plus cosmopolite qu’à l’époque. Il y a des gens d’Europe de l’Est, notamment de Serbie, qui sont souvent des chrétiens dévoués. Mais sur l’île, nous sommes à 95% de culture catholique.

Eternel.ch : Comment transcrivez-vous vos convictions dans votre musique ?
Albert : Nous avons une approche différente de la religion, et nous ne sommes pas du style à aller à la messe tous les dimanches, ce qui ne nous empêche pas d’être croyants. Personnellement je suis chrétien, je ne suis peut-être pas le plus grand fan de l’institution religieuse, ni des institutions en général, en fait. Je trouve qu’il y a beaucoup de bonnes choses dans l’approche à la vie qu’a le christianisme. Si je dois me définir précisément, je suis chrétien, de culture catholique mais chrétien.
Je n’adhère pas à toute la tradition et aux rituels catholiques. Je ne pense pas que ça soit une mauvaise chose, et j’y vois de la valeur pour beaucoup de gens qui y sont engagés, mais ça ne me correspond pas complètement. Il y a un côté que j’apprécie, et qui se reflète dans notre musique, c’est le côté sombre des choses. Il peut y avoir beaucoup de noirceur dans les traditions du Vendredi Saint, par exemple. Quand j’avais environ six ans ma mère m’avait emmené dans la procession, et c’était tellement doom ! J’ai un souvenir assez gore de la croix pleine de sang, ça m’a laissé une impression très forte. Je ne suis pas sûr que la nouvelle génération vive ces images aussi fortement. Dans le contexte maltais, être confronté à cette tradition catholique est inévitable. Elle influence votre manière de voir et de penser. Je suis allé à l’école catholique, évidemment, dès mon enfance jusqu’à mes quinze ans. Pour être honnête, à un moment de ma vie j’étais très rebelle à cause de tout ce gavage religieux. Ensuite avec le temps j’ai vécu une catharsis spirituelle, sans vouloir me la jouer prêcheur. C’était à la période où ma mère est morte du cancer, dans beaucoup de souffrances et de difficultés, et pour moi ça a été une période très particulière. Je suis revenu à la foi en me voyant reflété dans le Christ crucifié. Pour moi cette mort donne du sens à tout ça. D’une certaine façon j’arrivais à comprendre toute la souffrance que je voyais sur ma mère qui avait une forme de cancer très mauvaise, et ça m’a aidé à y voir du sens. Le point central de tout ça, c’est que notre fardeau se trouve allégé quand on regarde au Christ sur la croix, et que notre souffrance se reflète dans la sienne. C’est ça qui m’a parlé.

Eternel.ch : Comment cela a-t-il influencé ton processus créatif ?
Albert : La dernière chanson qu’on a jouée ce soir, Winds of Golgotha, parle de la crucifixion de Jésus, et elle a un sens très personnel pour moi. Pour Nomad Son, c’est moi qui écris les textes, et j’essaie d’y mettre beaucoup de moi-même. Nous avons un nouveau morceau, Capernaum - potentiellement un de nos meilleurs -, il a aussi un sens très fort qui devrait être intéressant. Jordan fait un travail génial dessus, ça va vraiment bien donner ! Mais nous avons bien d’autres thèmes dans nos morceaux. On parle de politique aussi, comme dans Guilty as Sin, qu’on a jamais joué en concert d’ailleurs, qui est très politiquement orienté sur des événements qui ont eu lieu à Malte, même si ça peut s’appliquer à beaucoup de contextes. Ce morceau parle des martyrs de la liberté et de la démocratie. C’est un chant anti-tyrannie.
On en a aussi d’autres plus introspectifs, et personnellement pas uniquement quand j’écris pour Nomad Son, je suis très inspiré par l’eschatologie chrétienne et l’Apocalypse. C’est mon livre de chevet préféré ! Parfois je me languis de la fin du monde... Peut-être que ça a l’air bête, mais parfois je me sens très misanthrope. Quand je vois l’humanité, la haine, la façon dont on détruit le monde, dont on traite les animaux et dont on se traite les uns les autres, parfois tout ça me met très en colère. Et ça se canalise dans la musique, bien-sûr. D’ailleurs on a quelques morceaux très misanthropes avec Nomad Son, mais je pense que c’est plus présent dans Forsaken.

Eternel.ch : Un petit mot sur le festival pour terminer ?
Albert : C’est la troisième fois que je viens ici, c’est un super festival. On croise beaucoup de vieux amis, on s’en fait des nouveaux, il y a un très bon esprit d’ensemble, c’est toujours un plaisir de venir ! On espère revenir bientôt, peut-être avec notre nouvel album, et on aura un set plus long la prochaine fois, avec de nouveaux morceaux et aussi ceux dont j’ai parlé. Ça va claquer !


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